
06 - Chapitre 6 : Suivre les étoiles
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Le chat noir avait repris la route dès le lendemain de son étrange rêve. Il avait suivi cette trainée blanche fine comme une brume, à peine visible. Il ignorait ou celle-ci le menait, mais son instinct, infaillible, le poussait à la suivre.
Elle ne sentait rien, ne laissait aucune empreinte. Quand il passait au travers, il avait l’impression de traverser un rayon de lumière tiède.
Mais la suivre n’était pas chose aisée.
Sinueuse, flottante, la trace ne tenait compte d’aucun obstacle.
Elle traversait routes, rivières, murs… Et Chat Noir devait s’adapter.
Ces détours, parfois très longs, lui faisaient découvrir des lieux qu’il n’aurait jamais explorés autrement.
Un jour, il tomba sur un pont de pierres naturelles, dressé au-dessus d’un torrent furieux.
L’eau, comme toujours, lui inspirait de la méfiance.
Et pourtant, il s’amusa à bondir de pierre en pierre.
Le cœur serré, mais l’adrénaline au ventre.
Quand il atteignit l’autre rive — à peine quelques mètres plus loin — il ressentit ce qu’il aimait plus que tout :
La morsure douce de l’inconnu, et la fierté d’avoir osé.
Plus tard, ce fut un mur.
Massif, dressé pour une raison inconnue.
Pas question de le contourner : trop long, et ennuyant à mourir.
Il opta pour la voie la plus directe : grimper.
Un arbre penché lui offrit l’élan, des fissures dans la pierre l'accueillirent.
En quelques bonds, il était au sommet. Et pour descendre ?
Aucune inquiétude : un chat retombe toujours sur ses pattes.
Parfois, la faim le tirait de ses rêveries.
La traînée blanche ne passait jamais devant les bons coins.
Pas une seule poubelle, pas un seul restaurant.
Il avait cependant par chance, trouvé des bols de croquettes ici et là, probablement laissé ici par un adorateur de la race féline. Il ne pouvait que féliciter en son fort intérieur cette âme bien pensante qui lui avait permis de se remplir la panse.
Les nuits étaient rudes.
Il dormait dans un arbre quand il le pouvait.
Sinon, un bosquet, une niche, un jardin suffisaient.
Mais ses rêves, eux, ne le laissaient pas tranquille.
À chaque fois qu’il fermait les yeux, il replongeait dans l’immensité étoilée.
Des formes lumineuses, des constellations mouvantes, des couleurs presque boréales.
Les mêmes visions revenaient, encore et encore.
Au réveil, il ne savait plus très bien si c’était un rêve ou un souvenir.
Par moments, il se demandait s’il devenait fou.
Ou si son esprit, nostalgique des néons urbains, fabriquait ses propres lumières.
Mais chaque matin, la trace blanche était toujours là.
Et son esprit cartésien pouvait bien grogner : son instinct, lui, refusait d’abandonner.
Ce fut au dixième jour qu’il sentit un changement.
La trace semblait ralentir. Se concentrer.
Il venait de traverser une forêt — dense, sombre, étrangement silencieuse.
Il n’aimait pas ça.
Des craquements dans les feuillages, des odeurs inconnues…
Et cette sensation d’être observé, en permanence.
Il avançait en silence absolu.
Oreilles dressées, pattes feutrées, moustaches frémissantes.
Et soudain, il le vit.
Un temple.
Ancien, mais entretenu.
De longs piliers rouges encadraient un escalier de pierre moussu.
Des offrandes avaient été déposées. Il en reconnaissait l’odeur.
Encens, fruits, fleurs fanées.
Lui qui aurait bondi dessus d’ordinaire, se retint.
Quelque chose ici demandait du respect.
La trace blanche flottait devant l’escalier.
Elle l’attendait.
Il grimpa les marches sans un bruit.
Pattes souples, dos bas.
Il franchit le seuil du temple, guidé par la lumière lunaire filtrant à travers les interstices.
Et là, il s’arrêta net.
Il n’était pas seul.